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Il faudrait savoir inventer un nom pour chaque nouvel amour concret. Mais les noms sont constitués de lettres, lettres qui sont aussi celles des autres. Il faudrait bien plutôt : savoir garder le silence.

Fabrice del Dongo ne peut pas chanter son amour pour Clélia. Il reste muet face à l’ineffable. C’est dans ce qu’il ne dit pas qu’il dit le plus de choses.

Fabrice del Dongo n’est pas même vu par Clélia, initialement : il n’est qu’une présence, qui plane, dans cette tour Farnèse. Un simple regard bienveillant, silencieux, porté sur une femme tendrement aimée, suffit à l’envelopper d’une nuée d’amour précieux qu’elle ne peut que sentir.

Dans ce silence et dans cette inapparence se manifeste le Dit non su d’un amour qui ouvrira le regard. Un amour reste privé pour ne pas se dissoudre dans l’être-explicité public. Il ne s’insère pas dans la significativité mondaine des choses. Il est le phénomène invisible, ou la beauté, que seuls deux êtres au monde pourront appréhender.

Comment devenir manifeste pour un seul être, c’est-à-dire : en étant non manifeste de cette sorte pour tous les autres ? Un amour doit être l’art de la dissimulation, l’art du maquillage. Un seul signe trahit l’ensemble pour un seul être, mais pour tout autre il ne se sera rien passé.

Dans ce silence, la résolution monte finalement : une forme de « solipsisme à deux » s’étant manifesté, c’est néanmoins la certitude de l’existence d’un « extérieur » qui advient. La loi de cet « extérieur » est claire comme le jour : il s’agit de son éternelle répétition. La résolution corrélative est, de même, claire comme le jour : il s’agira d’aimer assez pour demeurer fidèle au Don de l’éternelle répétition d’une forme de béatitude indicible.

Les amants néanmoins sont happés par le bavardage des prêtres, des prophètes, des vendeurs de « rêves ». Ils sont nommés par ces parasites qui viennent dès lors s’immiscer dans leur monde à deux. Leur silence résolu est détruit, la loi du temps s’évanouit, et le clin d’œil « malin » ou « sympa » redevient le cours des « choses ». Ils ne sont pas protégés, leur révolution à deux est infiniment fragile. En même temps, ils ne sauraient bannir toute société de leurs préoccupations : c’est elle qui maintient leur être biologique sans lequel ils ne peuvent tout simplement pas « être » l’un pour l’autre ; d’autres liens, de même, amicaux ou familiaux, leur sont nécessaire. Ils doivent aussi retrouver un autre « monde » de l’extériorité, une autre loi du temps, pour que leur monde et leur temps, seulement, aient un certain prix. Mais très souvent de ce fait ils s’usent. Leur « solipsisme à deux », dans le pire des cas, peut devenir un « solipsisme de la masse », en lequel le on-dit du quotidien recouvre tout ce qui est original et singulier.

Le silence résolu des amants passionnés est presque une impossibilité, et, s’il est possible, ce n’est que transitoirement : de larges zones de banalité irrésolue et bavarde l’entourent.

Mais alors, promettons-nous à nous-mêmes une chose : lorsqu’arrive l’impossible, lorsqu’arrive ce silence, promettons-nous que nous le saisirons à chaque fois radicalement, de la façon la plus pleine possible, sans réserve et sans crainte. Epousons absolument de telles chances, sans équivoque, et tâchons de ne jamais oublier la promesse qu’elles apportent avec elles : la promesse d’une éternelle répétition. Ce qui est le plus intense est aussi ce qui est le plus vrai : puisqu’une telle promesse nous fut apportée durant le temps le plus intense de notre vie, elle doit aussi être la plus vraie.

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