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On remarquera que la réification de la souffrance psychique intime se développe de façon inquiétante, lorsque la psychiatrie, par exemple, s’empare de la génétique.

Aujourd’hui, des tests génétiques et des conseils génétiques peuvent être proposés aux patients souffrants de « troubles mentaux », dans un contexte psychiatrique. Dans son article « Conseil génétique en psychiatrie », Géraldine Viot, en 2011, résume bien la manière dont la génétique peut s’insérer dans le champ psychiatrique. Cet article, peut-être « dépassé » aujourd'hui du point de vue de certains « résultats positifs », reflète néanmoins assez bien la manière dont la discipline de « l'épigénétique », au début des années 2010, a commencé à reconfigurer certains savoirs médicaux, dans des champs assez divers. Paradoxalement, même si la notion d'épigénétique, qui fait intervenir le facteur comportemental ou environnemental (agissant sur l'expression des gènes), remet en cause la « fatalité des gènes », et assouplit donc le déterminisme génétique, elle pourra aussi permettre l'extension du domaine de la génétique à des secteurs biologiques et médicaux plus variés, et de façon plus précise. Géraldine Viot dira donc d'abord ceci :

« Plusieurs singularités sont à noter dès lors qu’il s’agit d’une affection d’origine génétique :

  • la maladie n’intéresse pas uniquement le patient qui consulte mais sa famille toute entière ;

  • il existe très peu de thérapeutiques ciblées ;

  • dans certaines situations, dont fait partie la psychiatrie, le mode de transmission de l’affection peut être multifactoriel, ne répondant pas à un mode de transmission mendélien classique ;

  • il peut également exister plusieurs gènes à l’origine d’un même tableau clinique (on parle alors d’hétérogénéité génétique) ;

  • la complexité des affections psychiatriques rend difficile et quelque peu décevante l’identification de gènes à l’origine de ces maladies ;

  • enfin, la variabilité d’expression de ces affections complique l’estimation du risque donnée aux patients. »1

Géraldine Viot approfondit l'analyse plus loin : « Bien que ne pouvant se départir totalement du rôle de l’environnement, ces études ont démontré que des facteurs génétiques conféraient une plus grande sensibilité que les seuls risques liés à l’environnement de développer des troubles du comportement ou des troubles identitaires. Ainsi, les apparentés du premier degré d’un patient schizophrène ont un risque dix fois supérieur à celui de la population générale de présenter eux-mêmes une schizophrénie et 14 fois plus élevés de présenter des troubles bipolaires. Les troubles de l’humeur de type schizoaffectif sont également plus fréquents chez les apparentés de patients schizophrènes confirmant l’expressivité variable de certains gènes selon les individus, encore appelée pléiotropie. Elles démontrent également la prépondérance des désordres obsessionnels compulsifs, des troubles de la communication, des phobies sociales chez les apparentés d’enfants autistes. (…) Des mutations du gène SHANK3 en 22q13 ont également été identifiées chez des patients atteints de schizophrénie. Ce gène participe au maintien de la structure des cellules nerveuses. (…) L’origine des troubles envahissants du développement du registre autistique (TEDRA) est hétérogène. Elle peut être environnementale. Ainsi, certaines infections contractées pendant la grossesse comme la rubéole, le CMV ou la prise de valproate de sodium ou de thalidomide par les femmes enceintes sont considérées comme des facteurs de risque. Les TEDRA peuvent également être génétiquement déterminés. Tout d’abord, leur origine peut être chromosomique. Ainsi, une anomalie chromosomique est retrouvée dans 3 à 5 % des cas. Aujourd’hui, on estime que les inversions-duplications 15q11-13 (ou duplications isolées) d’origine maternelle sont retrouvées dans 1 % des cas. Les autres remaniements chromosomiques les plus fréquemment identifiés sont les délétions 22q11, 2q37, 7q11.23, 7q31, 22q13 ou les duplications 22q13. Des anomalies gonosomiques type 47, XXY sont également rapportées. Enfin, certains syndromes des gènes contigus ou aneusomies (comme la trisomie 21) peuvent s’associer aux TEDRA. »

La psychiatrie qui s'empare de l'outil génétique est susceptible d'observer un facteur héréditaire dans le développement des affections psychiques (comme la schizophrénie ou la bipolarité). Les observations semblent confirmer l'existence de ce facteur héréditaire. Les « TEDRA », quant à eux, peuvent être liés à des complications pendant la grossesse, ou même à des « anomalies » chromosomiques. Mais ici, la génétique qui voudrait « expliquer » l'apparition de souffrances psychiques prend des effets pour des causes. Elle réifie aussi, au sens strict, la souffrance psychique, en la rattachant à un matériel génétique conditionnant.

D'abord, on ne peut considérer que les individus dits « bipolaires », « schizophrènes », ou « autistes », ont des « déficiences » psychiques objectives. Ils ont un mode de fonctionnement mental, sensible, mais aussi physique et moteur, singulier, qui correspond à une certaine manière dont le vivant tente de s'adapter, avec ce qu'il est, à son monde. Ce mode d'être adaptatif positif, potentiellement créateur, n'est pas a priori diminuant, ou dysfonctionnel, il est une manière originale d'être-au-monde. Il a, a priori, la positivité et l'originalité de tout être-au-monde vivant et singulier. Mais les concepts réducteurs de « bipolaires », de « schizophrènes », ou d'« autistes », ramènent cette pluralité d'individus uniques à des ensembles homogènes et réducteurs, définis à partir de critères unidimensionnels et abstraits, en lesquels chaque personne n'est plus qu'un échantillon-standard d'une catégorie clinique invalidante. Le type du « bipolaire » est défini négativement comme « trouble de l'humeur », « apathie », « dépersonnalisation », ou « manie », « délire » ; le type du « schizophrène » est défini négativement comme « retard psychomoteur », « difficultés scolaires », « impulsivité », « labilité émotionnelle », « difficultés de concentration », « désorganisation ». Le type de « l'autiste » est défini négativement comme « troubles de la communication », « difficultés scolaires », « troubles des interactions sociales », « comportements stéréotypés ou répétitifs ».

On remarque immédiatement que ces « déficiences » ne peuvent devenir visibles et manifestes comme déficiences que dans un monde social et humain qui s'organise en valorisant des modes d'adaptations et des « capacités » très précises, et en validant systématiquement des conformations à une norme très déterminée : une modération, voire une « neutralité » émotionnelle, une capacité à s'identifier à une personnalité uniforme, une capacité rationnelle à rejeter toute poétisation libératrice, une psychomotricité adaptée à l'industrie déshumanisante du travail, de la consommation et des loisirs, une adaptation à un système scolaire intégrant la jeunesse dans un système productif morbide, une capacité à contenir des sentiments de refus ou de colères face à l'horreur du monde, une capacité à se concentrer pour enregistrer les savoirs formels d'une gestion amorale et mécanique, une capacité à s'organiser rationnellement dans le chaos automatisé du système de valorisation marchande, une sociabilité normée et souriante dans un cadre sadique et psychopathique, une capacité stéréotypée à ne pas paraître stéréotypé, seront autant d'aptitudes que devront posséder les individus normalisés dans le système capitaliste, pour simplement s'intégrer, survivre, sans ressentir la souffrance de la détresse, de l'exclusion, de l'isolement, ou de la déprise. Face à ce type normé de l'individu « non déficient », ou « sain », selon les critères validistes modernes (type normé qui renvoie à des subjectivités qui ne sont pas moins souffrantes, pas moins solipsistes, perdues, apathiques, quoique sans le savoir), les individus rangés dans la catégorie « bipolaire », « schizophrène » ou « autiste », font voir nécessairement des incapacités, des inadaptations, des manques, des « déficiences » : mais ils sont ainsi « déficients » en tant qu'ils ne peuvent développer sans souffrir consciemment cette neutralité impoétique, industrielle, scolaire-productive, indifférente, mécanisée, standardisée et sadique qui leur est imposée dès l'enfance, à titre de « critère d'intégration ».

On note alors un fait qui a son importance : dans une société qui ne fétichiserait plus des marchandises, de l'argent, des choses sans intérieur, et qui ne réifierait plus les être vivants, dans une société plus raisonnable, qui valoriserait et favoriserait les expressions créatives singulières, le partage désintéressé et l'amour, la colère saine face à l'injustice, l'autonomie organisée mais fluide, la continuité dynamique de la grâce, la façon dont ces individus dits « bipolaires », « schizophrènes » ou « autistes » développent leur être-au-monde, leur sensibilité, ne serait plus du tout associée à une « déficience », à un « manque », ou à une « diminution », mais elle serait au contraire reconnue, accueillie, et valorisée dans sa singularité belle. Elle ne serait donc plus souffrante, car elle ne serait plus « invalidée » par le système des « capacités » formelles déshumanisantes marchandes. Ces personnes originales et irremplaçables ne sont rangées dans des catégories homogénéisantes, réductrices et dévaluantes, et conçues comme « incapables », que relativement à un système de valorisation qui sélectionne des « compétences » neutres et standardisées reposant sur la stricte négation de la réalité qualitative, émotive et éthique des individus.

Un ordre clinique, social ou légal, qui détermine que les dits « bipolaires », « schizophrènes » ou « autistes » seraient objectivement « déficients », objectivement « malades », affirme implicitement que le monde capacitiste sadique et morbide, autodestructeur, psychopathique, génocidaire, impoétique, négationniste, uniformisant, de la valorisation de la valeur, serait quant à lui « sain », « naturel », « indépassable », et que les individus qui souffrent de ne pas pouvoir intérioriser ses normes aberrantes seraient en eux-mêmes et par eux-mêmes malsains, retardés, insensés. L'énonciation de cet ordre clinique, social et légal assignant, est donc proprement délirante et déraisonnable, et ce de façon objective (si tant est qu'on peut dire que la réification et l'autodestruction du vivant se présentant comme norme indépassable est une folie objective).

Après ces précisions, on peut considérer sous un angle critique cette psychiatrie qui s'empare de l'outil génétique. D'abord, elle reconnaît que ces « troubles mentaux » ne sont pas purement génétiques, mais davantage épigénétiques : un « terrain génétique » peut favoriser l'apparition d'un « trouble », mais le facteur « environnemental » serait également décisif. Seulement, ce facteur « environnemental » est ici défini de façon précise : on naturalise les « lois » (physiques, économiques, sociales ou biologiques) qui « régiraient » cet « environnement », et l'on place l'individu atomisé au sein de ces interactions « objectives », individu qui finirait par « exploiter » un terrain génétique sur la base de rencontres hasardeuses (ou « malheureuses ») au sein de ce milieu fixement normé. Seulement, on peut considérer cet environnement selon un autre point de vue : de fait, ce monde social, économique, affectant fondamentalement l'environnement écologique et vivant, n'a rien de « naturel », de « fixe », mais il ressemble, comme monde capitaliste, à une fuite en avant morbide et désastreuse, insensée et folle, réduisant les sujets à l'état de ressources expoitables et indifférenciées. C'est ce monde insensé et chaotique, désorganisé, qui déstructure certains individus ayant une certaine complexion psychique et motrice, et qui produit leurs souffrances et « inadaptations » insupportables. La « déficience » ne survient que dans le contexte de ce délire instable et matériellement produit du monde social et humain. Dans un monde moins désastreux et plus raisonnable, de tels individus singuliers, ayant une certaine complexion psychique singulière, ne montreraient aucune déficience, aucun manque, relativement à des critères normatifs formels, mais précisément, ce monde souhaitable aura su favoriser et valoriser, tant collectivement qu'individuellement, tout le potentiel de créativité, de partage et d'épanouissement de telles individualités (c'est, précisément, ce qui fait de lui un monde souhaitable). Ainsi, les catégories cliniques de « bipolarité », de « schizophrénie », d'« autisme », n'ont absolument rien de naturel ou d'évident, mais elles sont socialement construites, par une ordre validiste réifiant et morbide :

  • cet ordre validiste sélectionne les individus non conformes à la norme productive-standard ; cette sélection catégorisante et homogénéisante repose sur le postulat selon lequel la société moderne serait naturelle et indépassable, postulat erroné et construit socialement, visant le maintien d'une domination abstraite ;

    - il n'existe pas d'individus « objectivement » « bipolaires », « schizophrènes » ou « autistes », mais il existe simplement des souffrances incommensurables, et un ordre validiste qui range les personnes dans des cases fonctionnelles, en vue de la productivité sociale ;

  • ce souffrances ainsi catégorisées seraient abolies, et ne seraient plus vécues comme des « manques », dans une société plus raisonnable, non validiste et non productiviste ; elles n'ont rien de « fatal », d'indépassable ou de nécessaire, mais elles sont favorisées essentiellement par une organisation sociale délirante.

Néanmoins, ayant conceptualisé de telles catégories sociales et contingentes, l'ordre clinique observe les individus « malades » ainsi assignés et catégorisés : on peut constater par exemple des « dysfonctionnements » chimiques dans le cerveau. Seulement, il faut être ici bergsonien : de telles « anomalies » chimiques, éventuellement « visibles » sur le cerveau du patient, ne sont que des effets mécaniques, une pantomime pour ainsi dire, qui ne fait que refléter très imparfaitement, et après coup, la souffrance intégrale de la personne, laquelle s'enracine dans sa mémoire et dans sa capacité créative intégrales, laquelle accuse également l'intégralité de son monde vécu, morbide et malade. Cibler ces épiphénomènes cérébraux comme « racines » du « trouble », comme causes du trouble, et ne vouloir traiter que ces épiphénomènes, c'est inverser la cause et les effets, et c'est ramener toute la complexité inextensive du vécu à de l'extensif, c'est réifier ce vécu.

Certes, les catégorisations cliniques sont confirmées par les expériences neurologiques, et les expériences neurologiques semblent confirmer la « pertinence » des catégories cliniques. Mais l'ordre clinique et social se contente ici de passer d'une vision mutilée et tronquée à une autre vision mutilée et tronquée, et c'est de façon très cohérente que la première mutilation ne peut que confirmer l'autre, et réciproquement. Dans un cas comme dans l'autre, on se meut dans l'idéologie matériellement produite selon laquelle le désastre serait indépassable.

Concernant donc l'usage de la génétique dans la psychiatrie, le mécanisme est le même. On confond cause déterminante et effet dérivé. A vrai dire, c'est parce qu'on a catégorisé socialement et naturalisé les invalidations sociales relatives aux assignations nommées « bipolarité », « autisme », « schizophrénie » qu'on finit par concevoir l'idée selon laquelle ces catégories construites et ces invalidations pourraient renvoyer à des déterminations « génétiques ». Mais alors ces déterminations « génétiques » sont à leur tour des effets, des constructions sociales validistes. La recherche génétique au service de la psychiatrie n'est que la conséquence des assignations cliniques invalidantes, socialement construites par un ordre validiste morbide énonçant de façon délirante son caractère évident et indépassable. La recherche génétique au service de la psychiatrie est la conséquence d'un délire systématisé. Les résultats de cette recherche seront donc également la conséquence de ce délire.

Il se trouve que la recherche génétique, ici, « trouve » des facteurs génétiques « à l'origine » des « troubles mentaux ». Ici encore, on notera qu'une première mutilation (catégories), dans un système fonctionnant en vase clos, confirmera nécessairement la seconde (facteur « génétique »). Pourtant, de fait, ce « facteur » génétique ne peut être une cause, il n'est qu'un effet :

  • d'abord, il est l'effet socialement construit d'un délire socialement construit ;

  • en outre, comme toute « facteur » idéalisé et élaboré dans le discours, il ne vient qu'expliquer après coup, et donc inadéquatement, ce qui se déroule dans la continuité dynamique de la vie, sans rupture ; comme toute « facteur » appréhendé par la rationalité humaine, a posteriori, il ne peut être par définition déterminant, moteur, conditionnant, dans la réalité effective.

Proposons une expérience de pensée. Supposons qu'une personne qui aurait développé une souffrance et une inadaptation singulières et qui aurait été dite « bipolaire », dans la société fétichiste moderne, ne vive plus dans cette société moderne, mais dans une société qui ne fétichise pas les produits du travail, qui n'assigne pas les individus à des productivités et à des improductivités, et qui favorise et reconnaît la créativité et l'originalité de chacune et chacune. Dans une telle société plus raisonnable, cette personne ne souffrirait pas de telle sorte qu'une vie sociale deviendrait impossible pour elle, et surtout : par définition, on ne pourrait plus définir quelque « déficience », « manque », ou « incapacité » qu'elle « aurait », car de telles négativités ne seraient tout simplement plus apparentes socialement. Cette personne serait à la fois singulière, et en même temps, elle n'aurait plus à être « différenciée » intrinsèquement des autres personnes créatives. Dans un tel contexte, on ne pourrait tout simplement, ne serait-ce qu'imaginer, que cette personne pourrait avoir une « différence » dévaluante qui serait favorisée « génétiquement », puisque précisément cette différence dévaluante n'apparaîtrait plus.

De la même manière, la génétique contemporaine ne peut pas, par définition, rechercher les facteurs génétiques de singularités psychiques ou physiques qui ne différencient pas visiblement les individus, qui rendent donc impossibles toute catégorisation, puisque précisément, de telles différences ou catégories n'apparaissent pas.

La focalisation génétique sur des différences « psychiques » construites et consolidées socialement sera donc une focalisation socialement construite. Mais cette génétique est aussi une génétique qui naturalise finalement ces différences, ces souffrances, et qui naturalisera de la sorte l'environnement social malade qui fait ressortir ces différences et souffrances et qui les entretient. Autrement dit, cette génétique, au même titre d'ailleurs que la neurologie au service de la psychiatrie, empêche toujours plus que soit envisagée la transformation radicale d'un monde malade : elle favorisera, et il s'agit d'un positionnement politique précis, la réintégration de personnes sensibles, dites « déficientes », dans cette morbidité délirante qui fait apparaître de telles « déficiences ».

Il faudra rappeler finalement que les débuts de la génétique occidentale ont été influencés, dans les années 1930, par l'idéologie eugéniste de Galton. Cette idéologie influença les politiques états-uniennes et scandinaves d'« hygiène raciale », au début du XXème siècle, et les politiques de « purification » nazies : stérilisations des personnes dites « déviantes » (alcooliques, schizophrènes, handicapées, etc.) ; limitation des naissances d'« inaptes » ( ces « déviances » étaient dite « héréditaires » par les nazis) ; élimination pure et simple des individus « déficients ». Cette idéologie eugéniste, dans le contexte de la génétique émergente, pouvait aussi être associée à un spencerisme remanié (darwinisme social) et au malthusianisme.

Les généticiens humanistes « oeuvrant » pour la clinique contemporaine doivent se sentir bien sûr fort éloignés de ces barbaries inhumaines, « d'un autre âge ». Néanmoins, le schème eugéniste, spencerien et malthusien restera fondamentalement ancré dans la structuration du social valorisé de façon marchande, tant que cette valorisation se maintiendra. Et il se trouve, comme on l'a montré, que le système clinique-génétique réifiant et naturalisant les souffrances intimes des individus vivants est parfaitement adapté à la consolidation de ce système de valorisation (même si les « soignants », désintéressés et « humains », peuvent le faire sans le savoir).

 

Il faudra certes, après avoir dit cela, finalement, nuancer la critique. Les catégorisations de la clinique, tant que le désastre existe encore, et tant qu'il a un avenir, paraissent nécessaires pour cibler les souffrances individuelles, et pour les traiter en conséquence. En outre, il se peut que l'individu ainsi catégorisé puisse être pris en charge par la société, qui tiendrait compte de son « handicap » (un « bipolaire » ou un « schizophrène », en France, peut par exemple bénéficier de l'allocation pour adulte handicapé, ou de la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé). Néanmoins, de tels « traitements », ou « prises en charge », en même temps qu'ils semblent diminuer des souffrances et empêcher des situations matérielles difficiles, sont des assignations validistes, qui ne tentent pas de saisir la racine de la souffrance, et qui naturalisent d'autant mieux la morbidité du monde moderne (la « déficience » fondée négativement par ce capacitimse psychopathique est naturalisée à travers de telles « attentions » ambivalentes). Saisir la racine de la souffrance des individus ainsi catégorisés, dits « déficients », ce serait comprendre la nécessité de transformer radicalement, et collectivement, ce monde social malsain, et cette transformation finirait par rendre inutiles toutes ces catégorisations et « traitements » ou « prises en charge » différenciées, dans le même temps où elle montrerait le caractère pernicieux de telles catégories.

1Cf. L'information psychiatrique, 2011 (vol. 87)

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