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La psychanalyse freudienne, qui s'origine d'emblée dans la thématisation de quelque « hystérie », ne voit pas, ou ne veut pas voir, ou thématiser, le fait que c'est le logos curatif « masculin » qui assigne, à travers une objectivité clinique idéologiquement affirmée, le « féminin », à la pathologie mentale, pour ne pas saisir la dimension sociale et légitime des résistances des personnes ainsi réifiées.

C'est le péché originel de la psychanalyse bourgeoise : ce qui était pur symptôme d'un système social bourgeois fondé sur la domination, soit la souffrance féminine, qui engage, si l'on veut effectivement l'abolir, un refus, une révolte, une émancipation stricte et autonome des personnes concernées, est devenu pathologie à isoler, qui responsabilise insidieusement la patiente, devant travailler d'abord « sur elle-même » pour sortir de ses « refoulements ».

Dans le même ordre d'idées, le mythe freudien de « l'orgasme vaginal » sera un moyen d'assigner le féminin à l'hétérosexualité et à la gestation de la vie, dans la continuité, précisément, de la pastorale chrétienne. Il constitue une véritable « excision culturelle », une véritable négation de la qualité singulière du plaisir et du désir féminins1.

« L’hystérie » féminine deviendra, chez les psychanalystes bourgeois, un effet pris pour une cause, ce qui permettra la pathologisation de personnes assignées à la féminité, et qui se révoltent légitimement, mais dangereusement, au sein d’un foyer patriarcal étouffant, soit leur gestion encadrante.

Selon une logique également patriarcale, d'ailleurs, l’homosexualité pourra être dévaluée, en vertu d'une interprétation réductionniste des catégories psychanalytiques sexuelles bourgeoises. L'homosexuel serait ainsi incapable de se confronter à quelque « altérité » permettant une sexualité que l'on voudrait « reproductive ».

Note : On retrouve ainsi, aujourd'hui, un discours structurellement homophobe et transphobe, chez le rouge-brun Francis Cousin, prétendant s'emparer de catégories « analytiques » freudiennes.

 

Dans le champ de la psychanalyse bourgeoise, développant et aggravant la dissociation sexuelle-patriarcale, le thème de la « pulsion destructive et sadique » émergea néanmoins : il fut développé par l'ancienne patiente dite « hystérique » de Jung, Sabina Spielrein, qui devint par la suite psychanalyste (cf. « Die Destruktion als Werdens » in Jahrbuch der Psychoanalyse, IV, 1912). Il se trouve que Sabina Spielrein eut probablement une relation de type « érotomaniaque » avec Jung, comme semblent l'indiquer certaines lettres échangées. Ce complexe paraît dévoiler typiquement, et socialement, le complexe d'une « féminité » assignée, face à une « masculinité » sadique et insensible, réifiant le sexe de l'autre sans pouvoir reconnaître la qualité sensible singulière du plaisir et du désir féminins (mythe de « l'orgasme vaginal », « excision culturelle »). Les protocoles formels et impersonnels d'interrogatoires développés entre Spielrein et Jung auront pu favoriser la consolidation d'une telle relation souffrante et morbide. Ainsi, la « pulsion destructive et sadique » qu'identifia Spielrein n'était certainement pas la sienne, d'abord, mais celle de l'ordre patriarcal ayant assigné à la pathologie son désir légitime d'émancipation et de reconnaissance. Freud fut influencé par Spielrein, lorsqu'il développa ensuite la notion de « pulsion de mort », mais il dut transformer aussi substantiellement cette notion, en altérant son sens clinique, social, et existentiel (« seconde topique », 1920). Les relations entre Spielrein et Jung influencèrent d'ailleurs également la théorie freudienne du transfert, qui relève de cette érotomanie singulière déjà mentionnée (on notera que c'est peut-être le psychanalyste masculin qui est ici structurellement « érotomane », tel qu'il s'auto-réifie, et ne reconnaît plus son désir propre, avant de réifier et de dissocier le « féminin » - en définissant « l'érotomanie » du « féminin » réifié, il projetterait sa propre déprise sur « l'altérité » niée).

Selon cette perspective, on pourrait envisager que Sabina Spielrein aurait pu être la véritable « curatrice » des psychanalystes masculins bourgeois, même si elle ne thématisa pas sa démarche de cette façon.

On doit supposer que Sabina Spielrein a subi ce qu'on appelle "l'effet Matilda" (la minimisation des découvertes théoriques faites par les femmes, au profit des hommes, qui ont éventuellement pillé ces découvertes).

Quoi qu'il en soit, le fait de remettre sur ses pieds, de façon historiciste et matérialiste, le thème psychanalytique de la pulsion de mort, pourrait se faire au profit d'un anticapitalisme strict, et finalement contre l'individualisation freudienne du pathologique : en effet, c'est le système impersonnel de l'autovalorisation de la valeur marchande qui est d'abord structurellement morbide ; les pulsions féminines individuelles dissociées, que le psychanalyste bourgeois prend pour des causes, alors qu'elles ne sont d'abord que des symptômes isolés, dérivent de cette dimension systémique et sociale de l'aliénation structurelle des relations patriarcales-marchandes objectivées.

Cette morbidité du système renvoie bien aussi, intrinsèquement, à une gestion patriarcale des personnes assignées au féminin, et qui devient suicidaire lorsqu'elle essentialise, fige, chosifie ainsi son « pôle opposé », défini de façon rigide et dualiste, et censé représenter idéologiquement la « source de la vie ».

Ainsi donc, si l'on désire bien proposer une « psychanalyse » sociale des individus dans le système capitaliste, il s'avère que les outils critiques de cette analyse ne seront pas fondamentalement issus de la psychanalyse patriarcale, mais bien plutôt d'une critique psychanalytique de cette psychanalyse clivante et clivée  :

  • l'idée d'une pulsion destructive, autodestructrice et sadique, que nous développons, exprime en effet le point de vue, non seulement individuel, mais aussi social de Sabina Spielrein ;

  • la notion de « dissociation » que nous développons, ou la « valeur-dissociation », exprime également le point de vue de ce « féminin » dissocié, sur les analyses masculines-bourgeoises qui réifient ce « féminin » ;

  • le refoulement, individuel et social, qui est en jeu dans cette valeur-dissociation, devient précisément visible au moment où le psychanalyste masculin-bourgeois (Freud) s'approprie pour la mutiler (sans comprendre son sens émancipateur) la notion de « pulsion destructive et sadique ».

Ainsi, ces outils psychanalytiques, issus de Spielrein, issus d'une patiente ayant subi les évaluations patriarcales d'une psychanalyse clivante et clivée, produisent l'analyse sociale de cette psychanalyse masculine-bourgeoise, et ne reproduisent plus ses écueils « gestionnaires » et dépossédants :

  • elle ne peut plus réduire formellement une pure « libido » impersonnelle, mais réaffirme la qualité singulière des désirs et des plaisirs singuliers, en tant qu'elle identifie aussi précisément une « pulsion de mort » à l'oeuvre au sein de l'ordre gestionnaire qui thématise cette indistinction « libidinale » ;

  • elle est un point de vue critique, une résistance, face au développement historique de la dissociation sexuelle-patriarcale de la valeur, si bien qu'elle critique de fait l'hétérocentrisme, la fixation naturaliste des « genres » et de la « famille », tendances qu'on peut définir, a posteriori, comme pulsions de mort (ou « pulsions destructives et sadiques ») ;

  • elle ne peut plus individualiser structurellement quelque « soin » ou quelque « analyse », car les fonctions patriarcales qu'elle subit puis qu'elle thématise sont des structures directement sociales et collectives.

 

Ces outils critiques s'approprient les intentions structurelles profondes du geste d'une Sabina Spielrein, plus que le détail encore limité de son analyse.

 

 

Karl Popper affirmait que la psychanalyse n'était pas « scientifique », au sens où elle n'était pas falsifiable (un énoncé serait « scientifique », selon Popper, dans la mesure où il se préoccuperait d'abord de rendre testable ou réfutable sa validité propre). Popper remarquait que chaque fois qu’il exposait à un psychanalyste un fait susceptible d'invalider la théorie psychanalytique, celui-ci trouvait une façon d'interpréter un tel fait « gênant » qui devenait compatible avec elle.

Pour Popper, la psychanalyse n’est pas vérifiable avec ses propres méthodes car elle ne se fonde pas sur des faits objectifs, mais sur des interprétations posées d'emblée, qui deviennent des pétitions de principe. Dès lors, elle ne peut se falsifier elle-même, par définition : elle ne peut que s’auto-confirmer, continuellement. Au sens critique ou sceptique, elle ne peut être une « science » : elle finit par devenir une croyance dogmatique ou une idéologie.

Ce caractère idéologique de la psychanalyse devenue dogme, le marxisme traditionnel ou orthodoxe le posséderait aussi, selon Popper : le marxisme en effet tend à affirmer, lorsqu'il devient un dogme impensé, que l'individu qui réfute l'existence objective des classes, exprime lui-même ses propres « intérêts de classe » ; par cette réfutation, un tel individu ne ferait que confirmer, bien malgré lui, ce que l'idéologie marxiste affirme. L'idéologie marxiste, à son tour, ne pourrait donc se fonder sur des faits objectifs.

La critique sociale et politique multidimensionnelle qui produit le dépassement de ces dogmes affirme d'abord que l'inconscient est lui-même multidimensionnel, individuel, collectif, économique, social, culturel, politique, érotique. Une théorie critique en laquelle se rencontreraient un Marx « ésotérique » (critique du fétichisme marchand) et une Sabina Spielrein « ésotérique » (psycho-analyse sociale d'une « pulsion destructive et sadique »), permettrait éventuellement ce dépassement. Cette critique radicale se formulerait potentiellement au sein des luttes collectives et concrètes contre le capitalisme patriarcal. Cela étant, pour reprendre l'idée de Popper, mais pour évoquer aussi ce qu'il n'a pas aperçu, ce « fait objectif » que le psychanalyste bourgeois, ou que le marxiste ouvriériste et masculiniste, avec leurs interprétations réductrices, ne prennent plus en compte, pourrait bien être la réalité structurelle, matérielle, sociale, culturelle, économique, psychique et politique d'un patriarcat de fait, qui tend à se barbariser au sein de la modernité capitaliste, en devenant plus massif, plus neutre, plus fonctionnel et plus gestionnaire. Et la falsification stricte de la théorie psychanalytique devenue dogme pourrait éventuellement se faire lorsqu'on constaterait par exemple que les émancipations permises par des luttes féministes anticapitalistes aboliraient enfin en profondeur, et plus durablement, les dissociations « féminines » (chose qu'une psychanalyse bourgeoise ne peut faire).

Popper n'aperçoit pas cette dimension politique, car il défend finalement une science intrinsèquement destructive et bourgeoise (physique théorique, indirectement soumise à la mécanique industrielle, et donc à l'exploitation du travail vivant). Pourtant, il indique ici que toute science formelle moderne, pour devenir effectivement dialogique et falsifiable, selon ses propres « critères de validité », désire son abolition, abolition qui ne s'engage que dès lors que les individus soumis et réifiés par l'ordre socio-technique qu'elle entretient, non simplement « théorisants », mais aussi agissants, viennent lutter contre lui.

 

 

  Plus fondamentalement, la gestion bourgeoise-masculine, comme on l'a dit, est elle-même dirigée inconsciemment par l'automouvement des marchandises dont elle est censée encadrer la production (ce système est constamment en crise, mais la bourgeoisie ignore ses contradictions internes, et son caractère autodestructeur).

Elle ne contrôle pas la globalité du système, aujourd'hui synthétisée de façon automatique, mécanique. Et c'est sa propre déprise qu'elle exprime de façon confuse, lorsqu'elle tente de contrôler désespérément les individus réifiés par un tel ordre, et qui se révoltent légitimement.

Autrement dit, le dit « dominant », ou le profitant plutôt, le gestionnaire, le dirigeant, est lui-même dépossédé par un ordre qu'il est censé encadrer (développement économique, régulation économique), et il exprime sa propre déprise en ne reconnaissant pas sa propre dépossession inconsciente, mais en considérant que ce sont les individus qui pourraient la faire cesser (ceux qui luttent contre cet ordre) qu'il faut « contrôler ». Ceci dévoile une pulsion morbide du gestionnaire bourgeois qui est très explicite : celles et ceux qui pourraient faire cesser son autodestruction inconsciente, en luttant contre son ordre incontrôlé, il tentera de les empêcher de lutter, en les maintenant « sous contrôle » ; et il s’autodétruit bien de la sorte encore plus, quoique tout à fait malgré lui, puisqu'il neutralise toujours plus les vecteurs extérieurs par lesquels sa propre déprise pourrait enfin cesser.

Cette détermination sera visible également à propos des notions psychanalytiques de transfert/contre-transfert : il s'agit là d'une singulière érotomanie, que le soignant postule en ce qui concerne sa patiente, et qu'il pourrait exprimer à son tour, mais de façon « réfléchie ». Pourtant, à première vue, c'est bien lui qui pourrait bien tendre d'abord à être érotomane, et qui pourrait bien thématiser confusément, ici, sa propre pulsion scopique et théorique, sa propre fascination/répulsion morbide et clivée.

Finalement, au sein de cette érotomanie dédoublée, le gestionnaire bourgeois « analysant » fétichise non seulement les marchandises, mais aussi les corps réifiés du « féminin », qui représentent la possibilité « vivante » de l'exploitation future et de la reproduction de la valeur. Le corps « sexualisé », mais dont on nie l'intériorité qualitative, du « féminin » (ou de l'être « féminisé »), devient un fétiche vivant, fondant la violence de cette érotomanie et de ce transfert dédoublés.

 

 

 

 

 

 

 

1Cf. Nouvelles Questions Féministes, La sexualité des femmes : le plaisir contraint, Vol. 29, n°3, 2010

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