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Un film intéressant (malgré sa dimension sensationnaliste) sur la destruction de l'enfance, qui dans le foyer privé envahi par la masse et la marchandise, est comprimée contre la guerre, la folie invasive et expropriatrice, et menacée par une société voyeuriste et exhibitionniste ultraviolente. L'enfant de star est particulièrement exposé. On finit par le dévorer. Le "féminin", réifié par la vedette masculine, devient un fétiche pour cette vedette. Une mention originale à la doctrine de l'éternel retour, à la fin du film, suggère un supplice de Tantale (que toute vedette, et que tout enfant de vedette, éprouve, indéfiniment).

Un appel à l'aide

Le cinéma voudrait être : le monde qui s'auto-affecte

 

Le cinéma propose une perception décentrée. C’est du ciel parfois que l’image peut être « perçue ». Puis c’est du point de vue d’un objet, d’une chaise ou d’une table, que nous voyons, par exemple, deux personnages échanger, se disputer, faire l’amour ou discuter. 

Lorsque je suis seul avec une amie, dans notre appartement, il n’existe que deux perceptions possibles : ma perception, située, qui saisit certains éléments de mon corps propre, et perçoit certaines dynamiques du corps de l’amie ; et la perception de l’amie, qui se saisit soi partiellement, ainsi que mon corps propre, dans ce qu’il a de perceptible pour-une-autre. La perception de nos deux corps l’un à côté de l’autre est une perception apparemment impossible, car il n’y a pas de « témoin extérieur ». Si un objet de notre appartement pouvait sentir ou percevoir, cette perception, certes, serait envisageable. Mais envisager ce fait ne paraît pas encore très « raisonnable ». Le cinéma nous encourage à dépasser cette incrédulité « raisonnable », à croire à la richesse d’un monde partout sensible.

Par la figuration cinématographique, en effet, les deux amis sont « seuls » dans la pièce, mais à la fois ils sont « montrés » de la manière dont divers objets de la pièce, selon leur « point de vue » situé, pourraient les « voir », les « entendre ». La perception n’a plus de centre, ses « perspectives », qui sont celles des « choses » « extérieures », se déplacent, en même temps que l’image en mouvement. C’est d’abord un miroir qui perçoit. Puis nous accédons à la perception que le lit pourrait avoir de la scène. La situation en serait presque comique, car impossible.

Ici, le fait d’oublier qu’il y a une « caméra qui tourne », et que c’est elle qui « se déplace », qui donne à voir ces différentes perspectives possibles, soit la suspension d’une certaine « incrédulité », nous ramène au fait de croire que le lit, le miroir, pourraient « percevoir » la scène, et que nous serions nous-mêmes, spectateurs, ce lit, ce miroir, situation qui devrait provoquer une incrédulité plus profonde encore.

Il y aura donc une seconde suspension d’incrédulité que formulent, inconsciemment, les spectateurs de cinéma, seconde suspension qui sera engendrée par une première, et qui est fort peu considérée (pour cause).

Après la suppression « raisonnable » de cette seconde suspension d’incrédulité, de fait, c’est toute la « magie » du cinéma qui s’effondrerait, soit la « magie » d’un art profondément ésotérique, qui suggère l’ouverture d’un monde comprenant, potentiellement, une infinité de perceptions, celles de toutes les choses et de tous les êtres, inapparentes.

Le cinéma, par principe, nous donne à voir un monde extraordinairement riche, qui constamment s’auto-affecte, qui n’a plus d’intérieur et d’extérieur, en suggérant la possibilité d’une infinité de perspectives sensibles, partout et nulle part, du moins lorsque nous ne cessons pas de suspendre une première incrédulité, et que nous continuons à suspendre la seconde qu’elle engage. Ce cinéma nous montre ce que Leibniz aurait pu exprimer : nous percevons et pensons les objets, le ciel, les paysages, l’infinité des êtres et des choses, mais, en retour, ils posent eux aussi une perception sur nous. Ce cinéma nous montre, profondément, l’ouverture pleine d’une réalité qui est partout sensible, ce qui pourrait engager non plus simplement une passivité contemplative, mais aussi et surtout, ensuite, hors des salles obscures, une incarnation active et créative dans le monde, potentiellement différente, constructive et transformatrice. Cette incarnation plus créative, que devrait permettre cet art sacralisant, signifierait un rapport aux choses et aux êtres qui ne serait plus simplement « préoccupé », instrumental, utilitaire, car cet art aura pu dévoiler le fait qu’une dimension invisible, sensible, animée, pourrait bien envelopper ces êtres et ces choses qui nous « regardent », qui ne sont plus, dès lors, de simples « moyens » « inertes » à « employer ».

Même la plus triviale comédie romantique hollywoodienne devrait pouvoir dévoiler, a priori, ce mystère ésotérique du cinéma, qui renvoie à une certaine « vérité » attachée à l’ouverture de l’être, « vérité » que l’être « rationnel » ne voit plus. 

Mais précisément, un tel « cinéma de masse », un tel oxymore, n’engage plus les créations de soi que tout cinéma devrait permettre, et il trahit une certaine vocation possible : ce sont des « vedettes » devenues marchandises, des produits « placés » « stratégiquement », qui focalisent les « attentions » (inattentives). Une seule, superficielle et vaine, suspension d’incrédulité, fait disparaître la profondeur des deux autres, pourtant maintenues, mais sans qu’elles puissent provoquer désormais des créations transformatrices : l’incrédulité qui est suspendue, massivement, c’est celle qui nous ferait voir que certaines fictions publicitaires, certaines propagandes devenues « cinéma », engagent des comportements normés, des consommations « ciblées », des « adaptations » statistiques à un monde unidimensionnel, qui empêchent que soit prise en charge une autre « magie » qui veut s’exprimer, un autre « enchantement » qui veut se donner.

Certes, finalement, dans ce contexte désastreux, une résistance veut exister. Terrence Malick, depuis longtemps, s’engage fermement dans cette résistance. Mais une réception « adéquate » paraît toujours plus absente. Et ce qui sera vu ici, même pour les plus « attentifs », sera, dès lors, trop souvent, une boursouflure pédante, ou une démonstration esthétique des thèses ambiguës d’un « Heidegger », froidement « académique » (Le nouveau monde, The Tree of Life, Knight of Cups).

Une balade plus sauvage évoque pour certains un lointain souvenir plus « vrai », nostalgique.

La situation est tragique, impossible. Aujourd’hui, on voudra, légitimement, souligner plus explicitement la nécessité d’une « plus profonde » suspension d’incrédulité, mais on finira par abolir complètement ses « effets » escomptés : celui qui aura voulu « réinstaurer » une magie plus belle, dans un contexte nécessairement « phatique », finira par la massacrer encore plus, malgré lui.

Et le « critique » qui affirme ces choses de façon simplement « théorique », sans s’engager dans le risque d’une création, est bien sûr lui-même visé par ses propres critiques, plus encore que les créateurs qui osent l’échec. Mais il ne s’ôte pas le droit de déplorer une situation, qui le mutile, lui mais aussi tant d’autres.

Dziga Vertov, peut-être, désigne encore plus radicalement cette tragédie de l’art devenu « art des masses », qui comprend pourtant en son germe la possibilité d’abolir toute massification (L'homme à la caméra). Nous pourrions avoir, un jour, les yeux pour entendre de tels cris.

Laissons finalement la parole à la critique de cinéma Marie Gueden (critikat), qui exprime très clairement ces tensions et intentions tragiques du cinéma moderne, lorsqu'elle suggère l'ouverture du sens, de façon subtile et claire, du film Knight of cups, de Malick : "Dans un projet qui tient vraisemblablement à cœur à Terrence Malick de rappeler l’exil de l’homme sur terre, on pense à Solaris de Tarkovski que celui-là a, semble-t-il, en tête. Mais qu’y a–t-il entre les contreplongées omniprésentes et les plongées, dont le film recourt à l’image du monde comme un bassin qu’on survole, sinon la place de l’homme ? Qu’il y a-t-il derrière les images de surface, sinon le lieu du cœur, la perle en question ? C’est, peut-être, ce à quoi nous sommes invités à méditer, même si Malick en passe par un splash fulgurant qui finit par tourner un peu à vide, voire agacer à coup de surcharge évanescente, sensualiste et pathétique."

Une sensibilité photographique comme amor fati

 

 

Dans une photographie, si c’est la « beauté » qu’elle vise, un seul corps, ou être, peut équilibrer, illuminer, l’ensemble.

Un oiseau « situé » au centre de « l’image », parce qu’il « est », précisément, à cet « endroit », rendra, par exemple, les agencements équilibrés, proportionnés, signifiants : harmonieux.  Mais l’oiseau de son côté n’est pas passé « par là », à cet « instant » précis, parce qu’il « pensait » que « cela ferait une belle photo ».

Un visage soudainement ému, et dévoilant une profondeur inaperçue par celui qui l’anime, n’a pas « produit », de même, cette émotion, pour permettre une « belle photographie ». Sinon cette photographie, montrant une expression mimée, jouée, ne serait plus si « belle », ni si touchante. C’est bien l’artiste qui photographie, qui saisit cet affect devenu visible, et qui donne donc à voir la profondeur de sa fixité, qui la crée au sens strict.

C’est le, la photographe, qui, dans l’ensemble, organise, pénètre le monde visuellement, qui le crée, avec son seul regard, avec sa seule faculté à saisir une synchronicité subtile, une certaine instantanéité belle. 

En un certain sens, c’est l’artiste qui a « fait » que l’oiseau est passé « par là », à cet « instant » précis, c’est l’artiste qui a « fait » que ce visage nous touche maintenant. Cette sensibilité artiste, photographiant, est devenue cet oiseau, ce visage.  Tout comme elle est la mer, jusque dans ses infimes remous, lorsqu’elle la figure, puisqu’elle l’envisage, dans l’image, puisqu’elle donne à voir ces « petites perceptions », chaque infime goutte d’eau, qui ne font plus aucun bruit (Leibniz).

La séparation entre « le soi » et « le monde » ne signifie plus rien pour cette âme artiste, puisqu’elle crée le monde qu’elle met en image, en suggérant son harmonie possible, dans un temps infime, et dans cet espace rectangulaire restreint. 

Plus généralement, l’éthique du photographique ressemble à l’éthique de l’amor fati : l’artiste, photographiant, « veut » que les corps et les êtres « soient » tels qu’ils « sont », au moment où ils le « sont », tout comme si son acte avait « désiré » leur « configuration ». A tel point que « l’instant » impossible, non « vécu » par ces êtres (car toute temporalité éprouvée par un être est une épaisseur, une continuité, un devenir, et jamais un « instant »), acquiert, grâce à l’artiste, la dignité de ce qui est permanent, de ce qui est durable : de ce qui existe, en tant que tel, et longtemps.

Il y a beaucoup de choix dans l’acte de photographier : choix relatifs au temps (une « pression »), choix relatifs à l’espace (un « cadrage »). Ces choix seront une façon decréer le monde tel qu’il « est », donc tel qu’il n’existe pas, pour finalement lui offrir cetteexistence. Tout ce qui existe devient, et, a priori, ne peut pas « être », de façon figée, mais cela tourmente l’âme photographe. Faire exister cet « être » comme fixe, ce sera, photographiquement, le saisir soudainement, pour ensuite le projeter, comme « image » permanente, dans un devenir durable. Ces choix seront, ainsi, une façon d’inventer ce monde, devenu « monde » instantané, figuré, tel qu’il n’est jamais éprouvé par celles et ceux qu’il figure, et de vouloir que ce monde instantané soit finalement vécu, éprouvé, par d’autres, pour longtemps. Tout acte photographique est, par principe, une affirmation éminente, démiurgique : il affirme le « monde », fixe, « étant », sa propre « création », etlui offre un avenir.

Mais cet acte a aussi une dimension morbide, ce qui le rend, paradoxalement, d’autant plus beau : il affirme, en son être, la mort de l’être figuré, sa fixité éternelle, au sein d’une vie dynamique et mouvante, ce qui engage une responsabilité extrême, en un sens précis (Alix Cléo Roubaud).

Cette élection, ou cet hommage, au futur antérieur (« nous aurons été cela »), montre finalement une exceptionnalité extraordinaire de tout être, qui donne à penser : en négatif, elle le désigne tel qu’il n’existe jamais (« instantanément »), pour mieux sublimer cette existence réelle, la pérenniser, dans ce qu’elle a de miraculeux. Cette « écriture de la lumière » devient l’écriture de la clarté, inouïe, éternelle, de tout ce qui devient.

Bousiller cette vocation, toutefois, consistera à rendre trivial, et laid, « publicitaire » ou « promotionnel », un acte aussi ésotérique, et aussi mystérieux. Ce bousillage systématique voudra devenir la « norme », et ce qui devait provoquer l’étonnement radical, provoque finalement l’ennui, le sentiment d’une banalité écrasante. Les êtres figurés « publicitairement » lassent, et sont platement insultés, alors qu’ils devraient susciter, toujours déjà, la faveur, l’admiration, et la gratitude.

Toutefois ce n’est jamais cet art subtil qu’il s’agira d’« accuser » sans nuances, mais plutôt son instrumentalisation « productive », qui abolit, de façon certes « logique », ses potentialités subversives et créatives.

En effet, ce n’est pas la « reproductibilité technique » propre à cet art qui abolit a priori sa vocation à saisir « l’aura », mais plutôt la dynamique économique, intéressée, qui s’est emparée de cette reproductibilité, pour abolir sa dimension autotélique. En effet, selon une perspective « charitable », et attentive à l’éthique photographique, cette reproductibilité, a priori, pourrait très bien indiquer qu’un art, désormais confiant dans sa capacité à désigner le miracle, ne craint plus de ce fait l’ubiquité de ses œuvres, puisque chaque exemplarité pourrait dévoiler une présence pleine. Une photographie qui dépasserait les menaces qui la détruisent aujourd’hui pourrait même, d’une certaine manière, grâce à sa reproductibilité, venir abolir le fétichisme du « chef-d’œuvre », « chose » trop assignée à un lieu « unique », et abolir ainsi, d’autres formes de fétichismes plus profonds. Ce n’est pas la reproductibilité de la photographie « en général », donc, qu’il faudrait critiquer, mais l’inversion, le bousillage contemporain, de sa vocation profonde, potentiellement émancipatrice, au nom même, ainsi, d’une reproductibilité spécifique, dont les vertus sont toujours pensables.

Une photographie plus « fidèle », si elle pouvait exister, dans l’œil du créateur, ou dans celui du spectateur, donnerait à voir, à nouveau, cette sacralisation nouvelle qu’elle tend, toujours déjà, à suggérer. Tout exemplaire, même multiplié, pourrait ainsi favoriser une expérience unique. C’est le sensori-moteur du créateur, comme celui de qui contemple, qui serait, dès lors, substantiellement affecté. Et les regards deviendraient gestes gracieux et libres à venir, de même que les gestes deviendraient regard intensifs et pleins. Le « spectacle » qui ne devient pas aussi acte libre et transformateur du spectateur, qui est dissociation dans la vie, s’abolit par là même, et c’est sa finalité clivante, destructrice et réifiante, qui disparaît dès lors.

Le « spectaculaire », au sein de cette projection, ou de cet espoir, cesse d’être une insulte, dans la bouche du « critique », et devient une valeur créative digne d’être assumée.  

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