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Une économie fétichiste implique un système de crises économiques et écologiques imbriquées

 

a) Crises économiques, financières et sociales

 

La critique de la valeur est une théorie critique originale des crises du capitalisme qui repart du Marx « ésotérique », par opposition au Marx « exotérique ». Le Marx « exotérique » est le Marx que nous connaissons tous, qui a thématisé la lutte des classes comme lutte pour la répartition de l'argent et de la valeur, sans plus remettre ces catégories en question en tant que telles. Il promouvait la réalisation du prolétariat et développait une critique du point de vue du travail, non pour l'abolition du travail. Le Marx « ésotérique » thématise, dans les Grundrisse et dans le Capital, les catégories de base du capitalisme, marchandise, travail abstrait, valeur, argent, et montre leur caractère historiquement déterminé, ainsi que la nécessité de les dépasser pour dépasser le capitalisme.

Dans le chapitre 1 du Capital, Marx montre que toute marchandise a une double nature : elle est à la fois valeur d'usage et valeur. Comme valeur d'usage, elle est une richesse matérielle qui a un corps concret, et qui satisfait des besoins concrets. Comme valeur, elle est ce qu'il y a de commun entre les marchandises pour les rendre échangeables entre elles. Elle est une détermination abstraite et quantitative. La substance de la valeur est le travail abstrait, c'est-à-dire le travail ramené à une détermination synthétique et abstraite, le travail « en général », indistinct et indifférencié. Ce qui détermine la grandeur de la valeur est le « temps de travail socialement nécessaire », soit le temps qui est en moyenne nécessaire, dans une société donnée, pour produire telle ou telle marchandise. Le travail concret, quant à lui, crée la valeur d'usage des marchandises, dans une division du travail déterminée. Marchandise et travail sont donc dédoublés, ce qui implique également une véritable inversion entre abstrait et concret : le concret n'est que le porteur de l'abstrait, les valeur d'usage et le travail concret ne sont que des prétextes pour permettre l'autovalorisation de la valeur.

L'argent sera la manifestation phénoménale de la valeur, et la radicalisation de la forme-valeur, qui met d'abord en équivalence deux marchandises entre elles.

La dynamique du capital sera finalement contenue dans la formule suivante : A-M-A' (argent-marchandise-davantage d'argent). La vente des marchandises produites permet d'obtenir une somme d'argent supérieure à la valeur initiale, car il existe une marchandise productive, la force de travail, qui produit plus de valeur qu'elle n'en coûte. Le travailleur ou la travailleuse au service du capital, en effet, effectue un surtravail, pour qu'en découle une survaleur, permettant l'augmentation du capital dans sa circulation.

Ce qui compte dans ce procès, c'est donc bien l'abstraction de la valeur, de l'argent, ou du travail abstrait. La valeur s'autovalorise indéfiniment. Le travail concret et la valeur d'usage ne sont que des moyens face à la finalité de l'autovalorisation de la valeur abstraite, sans perspective de prise en charge consciente des désirs et besoins concrets des individus. La valeur s'autonomise alors comme « sujet-automate » (Marx), c'est-à-dire comme substance s'automouvant qui finit par faire des sujets producteurs de simples objets d'un procès de production séparé de leurs désirs et aspirations concrètes.

Cette dynamique est une dynamique de crise. Il existe trois théories de la crise dominantes dans le marxisme traditionnel, comme le rappelle Nuno Machado (Nuno Machado, « La « première version » de la théorie de la crise chez Marx », in : Jaggernaut 2, Crise et critique, 2020):

  • La théorie de la disproportionnalité, qui explique la crise par la disproportion entre les différentes branches d'activité qui composent l'économie capitaliste.

  • La théorie de la sous-consommation, qui explique la crise par l'écart entre la production et la consommation de la masse de la population.

  • La théorie de la suraccumulation justifie la crise par la baisse du taux de profit, causée par l'augmentation de la composition organique du capital, c'est-à-dire par l'adoption d'une technologie de production à intensité de capital croissante.

 

Mais comme le dit Nuno Machado, « il y a une autre lecture possible de la crise chez Marx fondée sur la dynamique de la production et de l'accumulation du capital. Cette théorie indique la chute absolue de la masse globale de la survaleur, résultant de la réduction absolue de la force de travail employée comme cause fondamentale de la crise capitaliste séculaire. Le développement des forces productives matérielles entre en contradiction insurmontable avec la forme de la richesse bourgeoise : la valeur. »

Reprenons l'argumentation de Machado.

D'abord, il faut rappeler les limites de la survaleur absolue et les limites de la survaleur relative. Marx divise la journée de travail en deux parties : le temps de travail nécessaire et le surtravail. Pendant la première période, les travailleurs produisent la valeur nécessaire à la reproduction de leur force de travail. Pendant la deuxième période, ils produisent de la survaleur. La survaleur absolue consiste à allonger la durée de la journée de travail pour faire augmenter le surtravail. Marx explique qu'il existe des limites physiques et morales à cette survaleur absolue.

A la survaleur absolue succède la survaleur relative. Machado indique qu'elle peut être extraite de deux manières :

  • par l'intensification du rythme de travail, ce qui implique l'amélioration de la machinerie, l'accélération de son fonctionnement et l'obligation pour l'ouvrier de l'accompagner. Dans ce contexte, la subsomption du travail sous le capital devient réelle.

  • La survaleur relative peut aussi être extraite par l'augmentation du temps de surtravail par rapport au travail nécessaire. Il s'agit de faire baisser la valeur du travail, en augmentant la productivité dans les secteurs qui fournissent le panier de biens acquis par les travailleurs avec leurs salaires.

Le problème avec la survaleur relative, c'est que plus la part de travail nécessaire sera faible avant l'augmentation de la productivité, plus l'augmentation de la part de surtravail sera faible. Au plus le capital se valorise, au plus il devient difficile de poursuivre cette valorisation, à cause des limites de la survaleur relative.

Mais Macahado rappelle qu'un deuxième problème intervient : la masse de la survaleur est déterminée par le nombre de travailleurs occupés simultanément. En effet, la masse de la survaleur produite est égale à la journée de travail du travailleur individuel, multipliée par le nombre de travailleurs employés (Marx, Capital, I). La logique de la survaleur relative implique un développement technologique et scientifique qui se traduit par la contraction du contingent des travailleurs salariés : cela entraîne une massive contraction de la masse de la survaleur.

Par ailleurs, il faut souligner l'opposition entre richesse concrète et richesse abstraite, valeur d'usage et valeur. Le développement des forces productives signifie que la masse des valeurs d'usage augmente toujours plus, mais que la grandeur de la valeur des marchandises individuelles diminue, car le temps de travail socialement nécessaire tend lui-même à diminuer. Dans le capitalisme, les valeurs d'usages ne sont que les porteurs de l'abstraction de la valeur. Le développement de la productivité implique que la valeur finit par s'opposer à la richesse concrète. Cette opposition peut mener à l'effondrement du système de valorisation, selon Marx : « Le capital lui-même est la contradiction en procès, en ce qu'il s'efforce,de réduire le temps de travail à un minimum, tandis que d'un autre côté, il pose le temps de travail comme seule mesure et source de sa richesse. (…) D'un côté, il donne vie à toutes les puissances de la science et de la nature comme à celles de la combinaison et de la communication sociales, pour rendre la création de richesse indépendante (…) du temps de travail qui y est affecté. De l'autre côté, il veut mesurer au temps de travail ces gigantesques forces sociales ainsi créées et les emprisonner dans les limites qui sont requises pour conserver comme valeur la valeur déjà créée. Les forces productives et les relations sociales (…) n'apparaissent au capital que comme des moyens (…) de produire à partir de la base bornée qui est la sienne. Mais en fait elles sont les conditions matérielles pour faire sauter cette base. » (Grundrisse, p. 662)

Par ailleurs, le surdéveloppement des forces productives peut signifier la diminution absolue du travail vivant, et donc la contraction de la masse de la survaleur, jusqu'à effondrement. Toujours dans les Grundrisse, Marx écrit : « A mesure que se développe la grande industrie, la création de la richesse réelle dépend moins du temps de travail et du quantum de travail employé que de la puissance des agents mis en mouvement (…), laquelle à son tour (…), n'a elle-même aucun rapport avec le temps de travail immédiatement dépensé pour les produire, mais dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès technologique, autrement dit de l'application de cette science à la production. (…) La richesse se manifeste (…) dans l'extraordinaire disproportion entre le temps de travail utilisé et son produit. (…) L'homme se comporte en surveillant et en régulateur du procès de production lui-même. (…) Il vient se mettre à côté du procès de production, au lieu d'être son agent essentiel. Dans cette mutation, ce n'est ni le travail immédiat effectué par l'homme lui-même, ni son temps de travail, mais l'appropriation de sa propre force productive générale, sa compréhension et sa domination de la nature, par son existence en tant que corps social, en un mot le développement de l'individu social, qui apparaît comme le grand pilier fondamental de la production et de la richesse. Le vol du temps de travail d'autrui, sur quoi repose la richesse actuelle, apparaît comme une base misérable comparée à celle, nouvellement développée, qui a été créée par la grande industrie elle-même. Dès lors que le travail sous sa forme immédiate a cessé d'être la grande source de la richesse, le temps de travail cesse nécessairement d'être sa mesure et, par suite, la valeur (…) cesse d'être la mesure de la valeur d'usage . (…) Cela signifie l'écroulement de la production basée sur la valeur(...), et le procès de production matériel immédiat perd de lui-même la forme de pénurie et de contradiction. » (Grundrisse, pp. 660-661)

Le développement des forces productives abolit à un certain stade le capital lui-même, en abolissant sa substance, qui est le travail abstrait. Kurz évoque un phénomène de désubstantialisation de la valeur. Le mode de production capitaliste est victime « d'une réduction non seulement relative mais encore absolue du nombre de travailleurs utilisés » (Capital, I, p. 433). Cela entraîne un contraction de la masse de la survaleur.

Machado affirme ainsi que la révolution microélectronique (troisième révolution industrielle) confirme l'échec systémique du capitalisme. Dès le départ, elle expulse une masse considérable du travail productif hors des zones productives. Comme le dit Jappe, cette révolution « ne met plus en place un nouveau modèle d'accumulation : dès le début, elle rend inutile - « non rentable » - d'énormes quantités de travail. A la différence du fordisme, elle le fait à un tel rythme qu'aucune extension des marchés n'est plus capable de compenser la réduction de la part de travail contenue dans chaque marchandise. La micro-informatique coupe définitivement le lien entre la productivité et la dépense de travail abstrait incarnée dans la valeur. » (Jappe, Les aventures de la marchandises, pp. 156-157)

La troisième révolution industrielle confirme l'existence d'une borne interne absolue à la valorisation capitaliste, et implique également le développement d'une armée de superflus.

Le fait que cette borne interne absolue reste dissimulée aux capitalistes eux-mêmes résulte du fait qu'ils se focalisent sur la notion, mystificatrice, de profit. Le profit est la survaleur ramenée à l'ensemble des coûts de production (capital constant – machines et matières premières – et capital variable – force de travail). Le lien entre survaleur et surtravail n'est pas aperçu par les capitalistes. Les prix de production dépendent du taux de profit moyen. Ils ne sont pas identiques à la valeur. Ce sont donc aussi les prix de production qui peuvent constituer une mystification, qui empêche les capitalistes de saisir le fait qu'ils détruisent, globalement, leur propre système de valorisation. Par ailleurs, un capitaliste individuel peut effectivement faire des profits additionnels s'il investit dans des technologies de pointe. Mais au niveau global du système, la généralisation de ce comportement, induite par la concurrence, entraîne une massive contraction de la masse de la survaleur.

Dans le capitalisme néolibéral, à la suite de la troisième révolution industrielle, on a injecté dans l'économie massivement du capital financier privé pour compenser la contradiction interne qui sévissait dans l'économie réelle. La finance devait anticiper la création de valeur future. La finance n'était plus le simple appendice du capital productif, mais elle devenait le moteur de l'économie. On assistait à un véritable « capitalisme inversé » (cf . Trenkle, Lohoff, La grande dévalorisation). Mais la désubstantialisation massive de la valeur devait rendre impossible, finalement, le remboursement de ces dettes. La crise de 2007-2008 s'explique ainsi davantage par la contradiction de l'économie réelle que Marx a définie dans les Grundrisse, que par la dette des Etats ou par quelque « folie » de la finance, lesquels ne sont en effet que des effets dérivés.

Il faut dire également que la diminution absolue du travail vivant signifie la diminution du travail productif. Seul le travail productif est producteur de survaleur, et permet le procès de valorisation. Comme le rappelle Machado, le travail productif est inséré dans la production marchande, il est salarié, c'est une force de travail vendue à un capitaliste, c'est un travail employé dans la production et le transport des biens et services, qui est directement impliqué dans le procès de production, et qui produit une survaleur par l'accomplissement d'un surtravail. Dans la catégorie des travailleurs productifs, on trouve par exemple des ouvriers, techniciens, spécialistes, ingénieurs, managers, etc. En revanche, les travailleurs improductifs sont les travailleurs qui fournissent des services personnels en échange d'un revenu (femmes de ménage, jardiniers, etc.) ; qui sont dans le secteur public ; qui sont dans la sphère de la circulation (banques, assurances, conseil, comptabilité, etc.) ; qui sont dans la sphère de la production et du transport, mais qui ne sont pas directement impliqués dans le procès de production (publicité, marketing, nettoyage, restauration, services à la clientèle, etc.). Depuis 30 ou 40 ans, tandis que le nombre de travailleurs productifs diminue, le nombre de travailleurs improductifs augmente de façon relative. Comme le rappelle Machado, certes, les capitaux improductifs réalisent un profit, mais ce profit est une déduction de la masse de la survaleur sociale créée par le travail productif. C'est ainsi que se contracte la masse de la survaleur, que se constitue un capitalisme financiarisé « inversé », que se développe une armée de superflus, et que se manifestent des crises économiques, financières et sociales, lesquelles sont d'autant plus violentes que le capitalisme est un système autodestructeur.

 

b) Crise économique et crise écologique

 

Pour comprendre l'imbrication de la crise écologique dans la crise économique, on peut suivre l'argumentaire de l'article de Daniel Cunha, « La nature dans la « contradiction en procès » » (in : Jaggernaut 2, Crise et critique, 2020).

Il faut d'abord pointer le problème des limites naturelles. Kurz affirme, dans « The Crisis of Exchange Value » : « Le concept de cette reproduction, accumulation ou expansion élargie du capital, cependant, reste creux et peu clair si ce processus est considéré uniquement sous sa forme de valeur et lié à la forme de valeur pure de la production, mais pas systématiquement au contenu matériel de cette expansion. Alors, et seulement dans ce cas, ce processus d'accumulation ne peut être compris comme un processus fini de façon concluante, puisque la richesse abstraite en tant qu'argent est intrinsèquement illimitée et sans fin, alors que le contenu matériel est soumis à une limite historique absolue. Cependant, il ne peut y avoir d'accumulation sans support matériel, même si cela représentait certainement l'idéal du capital. L'absorption élargie de travail vivant immédiat de production doit se référer à un tel support ou contenu matériel et, celui-ci peut en effet être tracé historiquement de manière concrète à plusieurs égards. » Kurz ajoute que l'une des conséquences de l'accumulation de capital basée sur la survaleur relative est « une escalade de la production quantitative de produits matériels, ce qui à son tour force l'expansion des marchés et l'accélération de l'accumulation. (…) Le marché mondial en tant que théâtre économique de la guerre pour les marchés à destination des marchandises et du capital, de la lutte pour les sources de matières premières, les « sphères d'influence », etc., est transformé en une arène politique mondiale. » (ibid.) Mais selon Cunha, chez Postone la relation entre la crise écologique et l'accumulation du capital serait plus explicite. Postone affirme : « Il se crée une tension sous-jacente entre les considérations écologiques et les impératifs de la valeur en tant que forme de richesse et de médiation sociale. Il implique aussi que toute tentative de répondre vraiment, dans le cadre de la société capitaliste, à la destruction environnementale croissante en recourant à la modération du mode d'expansion de cette même société se révélerait probablement inefficace à long terme – non seulement à cause des intérêts des capitalistes ou des chefs d'Etat, mais aussi parce que l'incapacité à augmenter la survaleur entraînerait de graves difficultés économiques et de gigantesques coûts sociaux. Chez Marx, la nécessaire accumulation du capital et la création de richesse dans la société capitaliste sont intrinsèquement liées. De plus (…) étant donné que, sous le capitalisme, le travail est déterminé en tant que moyen nécessaire à la reproduction individuelle, les travailleurs salariés restent dépendants de la « croissance » du capital, même quand les conséquences de leur travail, écologiques ou autres, sont nuisibles pour eux-mêmes ou pour les autres. La tension entre les exigences de la forme-marchandise et les nécessités écologiques s'aggrave à mesure que la productivité augmente et pose un grave dilemme, notamment pendant les périodes de crise économique et de chômage massif. Ce dilemme et la tension dans laquelle il s'enracine sont immanents au capitalisme ; leur résolution définitive restera impossible aussi longtemps que la valeur sera la forme déterminante de la richesse sociale » (Postone, Temps, travail et domination sociale, pp. 693-694)

Dans son article « Des catastrophes socio-naturelles » (Lignes, 2005), Kurz approfondit la question de la crise écologique, en s'appuyant sur les notions de dégradation de la nature et d'externalisation : « Le système moderne de production marchande, fondé sur la valorisation du capital-argent en tant que fin en soi, révèle alors son caractère irrationnel de deux manières : à la fois au macro-niveau de l'économie nationale et mondiale, et au micro-niveau de l'économie d'entreprise.

Le macro-niveau, c'est-à-dire la somme sociale de tous les procès de valorisation et de marché, engendre l'impératif de faire croître de façon permanente et abstraite la masse de valeurs. Il en résulte des formes et des contenus de production et de modes de vie destructeurs incompatibles avec les besoins sociaux et avec l'écologie des interrelations naturelles (transport individuel, urbanisation sauvage, destruction des paysages, agglomérations urbaines monstrueuses, tourisme de masse, etc.). Au micro-niveau de l'économie d'entreprise, les impératifs de croissance et de concurrence impliquent une politique de « réduction des coûts » à tout prix – peu importe que le contenu de la production soit utile ou destructeur. Mais, dans la plupart des cas, les coûts ne connaissent pas de baisse objective, ils sont seulement déplacés vers l'extérieur ; vers la société dans son ensemble, la nature ou l'avenir. Cette « externalisation » des coûts apparaît alors d'un côté sous la forme du « chômage » et de la pauvreté, et de l'autre sous la forme de la pollution de l'air et des eaux, de l'appauvrissement et de l'érosion des sols, de la transformation destructrice des conditions climatiques, etc.

Ortlieb résumera très bien tous ces enjeux, dans son article « Une contradiction entre matière et forme » (cf. Jaggernaut 2) : « La question n'est donc pas de savoir si oui non l'environnement est détruit au nom de la valorisation de la valeur, mais plutôt dans quelle mesure. Et de ce point de vue l'accroissement de la productivité, aussi longtemps qu'il reste – en tant que production de survaleur relative – étroitement lié à la valeur comme forme prédominante de la richesse, joue un rôle tout à fait funeste, puisque la réalisation de la même masse de survaleur réclament un produit matériel toujours plus grand et une consommation de ressources plus grande encore : en effet, la mise en oeuvre des technologies nouvelles dans le but de réduire le temps de travail nécessaire s'opère généralement en remplaçant ou en accélérant le travail humain grâce à des machines. » (pp. 160)

De façon générale, le procès de valorisation implique une augmentation de la composition organique du capital : le capital constant (et surtout les machines, le capital fixe) augmente relativement au capital variable (force de travail). L'expansion du machinisme implique le surdéveloppement des combustibles fossiles (gaz, pétrole, charbon), qui aggrave la crise climatique. La compulsion capitaliste de productivité est donc bien à l'origine de la crise climatique, ce pour quoi on doit parler de capitalocène, plus que d'anthropocène (ce n'est pas « l'homme en général » qui est responsable de cette crise, mais bien un système de valorisation déterminé, géré par une classe profitante aveugle et inconséquente).

Par ailleurs Cunha va insister sur la nature comme capital circulant (matières premières et auxiliaires). Cunha explique que la baisse de la valeur du capital circulant est un mécanisme compensatoire supplémentaire dans la croissance. La baisse de la valeur du capital circulant peut retarder la contradiction interne liée à l'augmentation de la composition organique du capital. Pour faire diminuer la valeur du capital circulant, affirme Cunha, le capital peut élargir toujours plus les frontières des matières premières (exploitation de nouvelles mines, de nouveaux sols, de nouvelles pêcheries, etc.). L'épuisement des ressources, sera finalement l'un des facteurs des crises économiques, puisqu'elle signifie la disparition d'un phénomène qui compense la contradiction interne.

Ainsi donc, la logique contradictoire d'accumulation capitaliste, l'opposition entre richesse matérielle et richesse abstraite, la compulsion de productivité, les crises économiques et sociales, sont bien subtilement imbriquées dans la crise écologique actuelle : crise climatique, épuisement des ressources naturelles, érosion des sols, extinction massive des espèces.

 

  1. La critique de la valeur n'est pas un attentisme

 

Voici un préjugé courant sur la critique de la valeur (venant de ceux qui ne l'ont pas vraiment lue). Ainsi donc, on nous dit que la critique de la valeur serait attentiste, et attendrait simplement que se développent les contradictions internes du capitalisme jusqu'à l'effondrement « fatal ».

Une simple citation de Kurz permet de remettre les pendules à l'heure. Bien évidemment, la critique de la valeur n'est pas un attentisme. Comme on peut le voir dans le lien ci-dessous (palim-psao), le courant réellement attentiste aujourd'hui, qui est massivement diffusé, est la collapsologie.

Kurz dit donc, dans La substance du capital : « Chacun peut certes suivre à la télé la progression des « catastrophes naturelles » sociales jusqu'au moment où elles le rattrapent, mais demeure impuissant à s'émanciper du contexte qui engendre ces catastrophes. Inversement, les êtres humains pourraient en principe s'émanciper sans attendre que le capitalisme s'effondre. Ce fameux effondrement n'a rien d'une incontournable condition préalable à l'émancipation ; en revanche il peut, dans son objectivité aveugle, constituer un environnement social propice au penser et à l'agir émancipateurs si jamais la transformation émancipatrice tarde trop et donne au capitalisme l'occasion d'un plein développement de ses contradictions internes. » (p. 227, L'échappée, 2019, nous soulignons)

La formule « les êtres humains pourraient en principe s'émanciper sans attendre que le capitalisme s'effondre » est le contraire de l'attentisme. Dans l'expression « si jamais la transformation émancipatrice tarde trop », le mot « trop » indique que Kurz souhaite dans l'absolu une transformation émancipatrice la moins tardive possible. Il ne dit pas cyniquement qu'il faut que les contradiction internes se développent maximalement pour que les potentiels d'émancipation se développent. Le mot « trop » semble même indiquer que Kurz est d'abord favorable à la transformation émancipatrice la plus immédiate possible, même si malheureusement, il se peut que cette émancipation soit davantage favorisée dans une situation où le capitalisme aurait développé toutes ses aberrations. Kurz, et la critique de la valeur en général, sont par-delà attentisme et spontanéisme.

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