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La théorie fait violence, dans le contexte d'une division institutionnalisée entre travail manuel et travail intellectuel. S'il existe une théorie "critique", son premier geste conséquent est l'autocritique radicale. Dans le cas contraire, elle est un oxymore.
Elle doit aussi poser un principe de modestie.
Certaines personnes ont subi des violences scolaires, et le ton, le jargon, la technicité de la théorie, même de la théorie dite "critique", sont susceptibles de les violenter, même si celui qui "transmet" essaye d'être bienveillant et précautionneux. L'écrit en lui-même, également, est fortement excluant, pour beaucoup d'individus.
Pourtant, l'appropriation de la théorie critique peut aussi avoir une dimension émancipatrice, pour toutes et tous. Mais elle ne devient émancipatrice que si, à terme, elle vise son auto-abolition (elle n'existerait plus sous cette forme spécialisée et séparée dans une société émancipée).
Par ailleurs, le ton froid et distancié de la théorie critique paraît parfois être en décalage avec le scandale du monde qu'elle décrit. Dans le pire des cas, elle paraît anempathique. A cet instant, ne se meut-elle pas dans le "rationalisme" glacé et objectivant des discours qu'elle prétend combattre ? Seule une démarche de détournement, qui s'approprie les armes de l'ordre qu'il faut combattre pour les retourner contre lui, paraît stratégiquement porteuse. Une forme de "hacking théorique" se laisse envisager.
La théorie peut aussi devenir validiste. Les individus assignés à la "folie", qui n'intériorisent pas les cadres logiques contraignants, sont tout simplement exclus par ces discours. Pourtant, certains de ces discours prétendent "dénoncer", parfois, un tel validisme. Une telle contradiction performative donne à penser. Ici, de façon paternaliste, on chercher à "libérer" des individus qui n'auraient pas les "ressources" pour le faire elles-mêmes. Le théoricien critique du validisme, rationaliste et technicien, se distingue, hélas, assez peu, du "soignant" qui entretient une relation hiérarchique avec le ou la "soignée".  Dans ce genre de contextes, la théorie critique doit aussi apprendre, parfois, à se taire, pour laisser s'exprimer les paroles des personnes concernées, qui ont leurs langages propres, et leurs propres façons d'exprimer leurs souffrances.
La critique technicienne et "scientifique" de la violence symbolique est une violence symbolique qui ne s'assume pas toujours. Si elle finit par assumer sa dimension violente, elle ne doit pas le faire de façon cynique ou désenchantée. Il s'agirait de dialectiser notre relation à la théorie critique, qui reste une forme aliénée, quoique potentiellement émancipatrice. C'est lorsqu'elle prend vraiment conscience de sa forme aliénée (et dépassable) qu'elle devient d'ailleurs effectivement émancipatrice, mais alors de façon assez limitée, et assez restreinte. Dans le meilleur des cas, elle comprend qu'elle s'inscrit dans un vaste champ révolutionnaire, où c'est la pluralité des tactiques qui prime (elle n'est qu'un secteur finalement assez configuré, nécessaire mais non suffisant, potentiellement émancipateur, mais très imparfait).
Ce texte en lui-même, d'ailleurs, s'auto-contredit par définition. Non pas de façon cynique. Celui qui écrit est déjà conscient de sa propre misère, et il voudrait aussi dépasser cette misère, qui traduit d'autres souffrances, collectives. Dans un monde où toute activité spécialisée est une misère, la théorie critique développe elle aussi sa misère singulière, et c'est peut-être sur la base d'une certaine prise de conscience que des dialogues riches peuvent s'instaurer, avec la diversité des langages qui sont les nôtres.
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