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Le héros du chef-d’œuvre de Larcenet, Blast, déploie une quête vers la mort. Son errance est la recherche du « blast », une sorte de flash extatique, une forme de transe extrême éprouvée transitoirement, et se suffisant à elle-même. On pourrait croire que l’auteur a de la complaisance pour son personnage, qu’il se reconnaît en lui, qu’il a de la tendresse pour lui. Mais la dimension autobiographique de l’œuvre n’est peut-être pas simplement au sein de quelque auto-attendrissement singulier.

A dire vrai, cinématographiquement parlant, Larcenet déploie ici un langage des images inédit dans sa systématisation. Il aime à faire des « pauses » dans le récit chaotique et éprouvant des aventures sordides de son héros. On le voit en pleine nature, croiser des animaux sauvages, profiter d’une belle journée au grand air, marcher longuement, s’enfoncer dans la forêt, rêvasser, etc. Sur parfois une dizaine de cases, le héros est parfois simplement figuré dans le silence d’instants sereins et apaisés. On le « sent » presque : réfléchi dans soi, méditant, de la même manière que le dessinateur qui s’empare de cette méditation active pour la représenter affirme son ethos de contemplatif qui aime à s’arrêter en chemin pour humer quelque bouquet intempestif. Mais également on « sent » une rage qui bouillonne en le héros, et qui détone avec le calme apparent des dessins. La bave aux lèvres, il doit être en quête de « blast », comme un « drogué » est en quête de sa piqûre. A dire vrai, le silence parfait des paysages, de la marche, les cases sans paroles, sont aussi d’une ultime violence, il ne faut pas s’y tromper. Car elles créent un contraste. La beauté de la « pause » ne rend que plus insupportable la violence des rapports sociaux que le personnage connaît et perpétue.

Certains films « extrêmes », tel Cannibal Holocaust, relèvent d’une logique de contraste analogue. Les images atroces, les corps mutilés, découpés, dévorés, empalés, apparaissent à l’écran avec, en arrière-fond, une musique d’une grande douceur, qui évoque davantage les comédies romantiques ou érotiques que l’horreur de reporters courant à leur perte au sein d’un village d’anthropophages. Les « pauses » esthétiques qui jalonnent le parcours du héros de Blast jouent, en un sens, le même rôle que cette musique. Elles disent ceci : « dans ce monde il y a de la beauté, de la légèreté, un être-naturel gracieux qui est une promesse de bonheur, et tout cela je le montre ou le suggère ; mais simultanément je vous montre l’horreur en soi, la quête de l’unité déchirante extatique dans son être-absolument-avide-et-enragé, et une telle beauté figurée, une telle légèreté, qui constitue l’arrière-fond de cette horreur, ne rendra cette horreur que plus insoutenable ».

Mais il y a peut-être une autre façon d’interpréter les « pauses » de Blast. Elles sont le contre-pied de la quête du « blast ». De fait, dans cette nature idyllique, le héros ne serait pas totalement avide. Il se retrouverait lui-même, au sein de quelque « état de nature ». Son bonheur il le trouverait là, dans cette sérénité relative, et non dans le « blast » extatique. Il le trouverait dans la tranquille adéquation avec soi au contact du vent frais. Les pensées sont calmes, la réflexion s’engage. Rêverie d’un promeneur solitaire. On retrouverait ici trois dimensions importantes de l’œuvre : une tendresse, malgré tout, pour le héros ; une dimension autobiographique ; un jugement sans appel sur le héros. Tendresse, car il a su trouver son bonheur malgré tout, de façon éphémère, même s’il n’était pas là où il pensait qu’il pouvait le trouver (il n’était pas dans le « blast »). Dimension autobiographique, car Larcenet est lui-même bipolaire : c’est peut-être la phase maniaque qu’il dépeint dans le « blast », cette euphorie délirante absolue qui est simultanément un miracle et le pire des poisons… en tant que résilient relatif, peut-être que Larcenet favorise quant à lui, aujourd’hui davantage la contemplation sereine et calme, et non la béatitude totale ; ses « pauses », et son plaisir, qu’il nous communique, à peindre ces "pauses", renverraient à sa propre joie actuelle de vivre pour lui-même de telles "pauses". Elles peuvent aussi renvoyer à l’état dépressif, qui est un souvenir beau le plus souvent pour un bipolaire, dans la mesure où il est détresse originaire à partir de laquelle un nouveau Moi peut se bâtir, dans la mesure où il est retour à soi. Jugement sur le héros, car en fin de compte il n’aura pas complètement compris que ce n’est pas le « blast » qui a fait son bonheur, mais bien la « pause ». Larcenet est comme un sage qui dessine l’errance d’un homme qu’il aurait pu devenir, dans un cas extrême, mais qu’il a choisi de ne pas devenir.

Demandez à un bipolaire s’il prendrait une pilule qui guérirait miraculeusement son mal. Très souvent, il répond qu’il ne la prendrait pas, car son « blast » est encore, très souvent le paradis sur terre pour lui. Larcenent voudrait prendre la pilule, très certainement, selon une certaine interprétation de son geste. En cela, c’est tout comme s’il l’avait prise. Son chef-d’œuvre, Blast, est aussi cette prise. Il raconte aussi cela.

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