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La mort d'un seul individu est à chaque fois la fin d'un monde, la fin du monde. "Si je meurs, il n'y a plus de monde" : chaque être singulier perçoit ce fait implacable, l'envisage clairement. Par ailleurs, si l'autre meurt, la fin du monde s'est déjà produite, et il faudra continuer à vivre avec ce fait nouveau.
Le point de vue gestionnaire, comptable, statistique, quantitatif, est incapable de saisir ce drame incommensurable que constitue la disparition d'un seul être singulier. Dans les faits, à chaque fois, c'est un seul être singulier, irremplaçable, incommensurable, qui disparaît. Un être sensible et vivant n'est pas une unité quantitative qu'on pourrait mettre en équivalence avec d'autres unités quantitatives. Quand deux personnes meurent, la fin du monde s'est jouée deux fois, de façon irréversible, sans aucune addition possible. A chaque fois, ce sont "cette seule vie", "ce seul monde", qui s'évanouissent.
La perspective gestionnaire, démographique, politico-étatique, opère des nivellements quantitatifs, et nie à la racine la qualité même des vies individuelles, ce qu'il y a d'absolument incomparable en elles.
Les conséquences existentielles de tels nivellements sont tragiques : chacun-e tend à s'identifier à un rouage inessentiel d'une machinerie globale et automatisée, errante et insensée. Il devient toujours plus difficile de pleurer la personne irremplaçable qui a disparu, puisque la singularité irréversible de son devenir, de son évanouissement, est socialement niée. Il devient toujours plus difficile de saisir la dimension miraculeuse, précaire, légitime, de la vie qui est en soi, et la dimension indépassable de la mort qui arrive, puisqu'une reconnaissance essentielle finit par manquer. Il est toujours plus difficile de demeurer inconsolables, alors même que c'est l'absence de consolation qui pourrait nous animer enfin.
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